Les anneaux de pouvoir sur Amazon Prime : « Lord of the woke » – Détournement de Tolkien

Le Seigneur des Anneaux est aujourd’hui l’œuvre la plus connue de John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973), célébrité qu’elle doit en partie à l’adaptation cinématographique réalisée par Peter Jackson. Alors pourquoi tant de haine face à la série réalisée par Amazon Prime, Les Anneaux de Pouvoir ?

Tolkien n’appréciait pas que l’on interprète ses œuvres. Peter Jackson l’avait bien compris et avait décidé de faire le maximum pour rester fidèle à l’esprit du roman : « Au début du processus, nous nous sommes promis de ne pas intégrer nos opinions politiques, nos messages ou nos thèmes dans ces films. D’une certaine manière, nous essayions de faire ces films pour lui [Tolkien], pas pour nous. » A contrario, Amazon Prime a pris le parti de faire tout l’inverse en proposant une interprétation « modernisée » et politisée de l’univers de tolkien. Une démarche de « déconstruction » – voire de destruction – largement réprouvée par les fans du monde entier qui y voient une adaptation « woke » qu’ils n’hésitent pas à qualifier de « fan fiction » la plus chère du monde.

Dans cette nouvelle bataille des géants contre l’âme celte, Amazon aura beau attaquer les admirateurs de Tolkien en les accusant d’être des « fans toxiques », ceux-ci font en réalité front commun pour défendre ce monument de la culture européenne. Parce que dans un monde de plus en plus globalisé et uniformisé par des géants tels qu’Amazon, où les êtres humains ne sont plus que des consommateurs uniformes et où les peuples et les individus sont progressivement privés de leurs identités et de leur libre arbitre, Tolkien est en quelque sorte le dernier bastion de l’héritage kelto-nordique, et nombreux sont ceux qui sont prêts à le défendre.

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La Terre du Milieu : les racines de l’Europe

Réduire Tolkien au Seigneur des Anneaux et au Hobbit, est, justement, bien trop réducteur. En effet, celui-ci était avant tout médiéviste, philologue et professeur à Oxford où il enseignait la linguistique et les langues nordiques, et pour comprendre l’univers de ses romans il faut se pencher sur l’ensemble de son travail.

L’auteur britannique a largement puisé son inspiration dans les traditions européennes : de l’Edda et des sagas islandaises (mythologie nordique) au poème en vieil anglais Beowulf, en passant par les légendes celtiques et les littératures chevaleresques du Moyen Âge, anglo-saxonnes, germaniques, sans oublier la mythologie grecque. Dans une lettre envoyée à l’éditeur Milton Waldman en 1951, il explique d’ailleurs : « J’ai toujours eu le sentiment de rapporter ce qui était déjà “là”, quelque part – non d’inventer ».

L’on retrouve cette influence de l’Europe du Nord dans les langues qu’il a imaginées pour ses personnages. Tolkien était philologue, un spécialiste de l’étude des langues et des textes anciens. Il avait appris le français, l’allemand, le latin, le grec, le vieil et le moyen anglais, le norrois, le gotique et le gallois – toutes étroitement apparentées et héritières de ce qu’on appelle le proto-indo-européen. Les relations qu’entretiennent les langues elfiques entre elles rappellent d’ailleurs celles liant les langues mères et langues filles indo-européennes.

Mais c’est dans le nom qu’il a donné à la « Terre du Milieu » que l’on retrouve le plus clairement cet attachement aux racines européennes. « Middle-earth » est dérivé du moyen anglais middel-erthe, altération du vieil anglais Middangeard, qui n’est pas sans rappeler le Miðgarðr de l’Edda en vieux norois de Snorri Sturluson, nom donné au royaume des Hommes, signifiant littéralement la « cour médiane » et parfois traduit par… Terre du milieu.

Rivendell, par J.R.R. Tolkien

Pour lui, la Terre du Milieu n’est donc pas un simple « pays imaginaire » comme certains ne cessent de le répéter pour trouver des excuses au fait que comme c’est du genre « fantasy » il est possible d’y faire tout et n’importe quoi concernant l’adaptation de son œuvre – comme faire incarner des personnages issus de la mythologie celte et nordique par des acteurs noirs ou métisses, réécrire des personnages tels que Galadriel, représenter les femmes naines sans barbe etc. Pour Tolkien, ce monde est profondément enraciné dans un héritage ancien, localisé en Europe, avec ses propres codes, ses valeurs, ses figures. Dans une lettre du 8 février 1967 à Charlotte et Denis Plimmer il écrivait que Middle-earth est « un nom ancien […] Il désignait les terres habitables de notre monde, placées au milieu de l’Océan qui les entoure. L’action de cette histoire se déroule dans le nord-ouest de la “Terre du Milieu”, à une latitude équivalente à celle des côtes de l’Europe et des rivages du nord de la Méditerranée ».

La Terre du Milieu, selon Amazon Prime

Avec ses récits se déroulant sur cette terre, l’auteur s’inscrit dans une tradition multimillénaire et offre à ses lecteurs un nouveau récit fondateur européen, qui s’inscrit dans la lignée de l’Edda, de Beowulf ou encore du Kalevala.

Viking Club et Atlantide – la passion nordique de Tolkien

Hors de ses œuvres éditées aussi, la passion de Tolkien pour l’histoire des européens, vikings, celtes, et autres héritiers de l’hyperborée, s’exprime.

Dans les années 1920, alors professeur à l’université de Leeds, Tolkien cofonde le « Viking Club », un club informel de philologues et historiens spécialisé dans les études germaniques et scandinaves. Les réunions rassemblaient dans des pubs locaux des étudiants et des professeurs pour des lectures des sagas islandaises anciennes et les membres inventaient également des chansons et des poèmes en vieux norrois, en vieil anglais, en gothique et dans d’autres langues germaniques disparues.

L’auteur était aussi personnellement touché par le mythe de l’Atlantide. Dans une lettre, il raconte que : « Cette légende, ce mythe ou ce vague souvenir d’une histoire ancienne m’a toujours troublé. Dans mon sommeil, je faisais le rêve effrayant de l’inéluctable Vague, qui sortait de la mer tranquille ou qui arrivait en dominant les terres vertes intérieures. Ce rêve se produit encore de temps en temps, bien qu’il soit maintenant exorcisé en écrivant à son sujet. » (lettre 257)

Dans un autre projet inachevé, les Notion Club Papers, Tolkien met en scène une querelle d’érudits. L’un d’eux fait les mêmes rêves que l’auteur au sujet de l’Atlantide, et raconte que Nūmenōr est également le nom de l’île dans ses songes. Tolkien n’ira pas au bout de ce projet car selon lui « c’était un chemin trop long pour arriver à ce que je voulais vraiment faire, une nouvelle version de la légende de l’Atlantide. » Dans l’histoire telle que racontée par Tolkien, l’île est submergée par Ilúvatar (le créateur de l’univers) et seuls quelques Númenóréens parviennent à échapper au cataclysme et se réfugier en Terre du Milieu où ils fondent de nouveaux royaumes.

Tolkien, le spécialiste des mythes européens, pensait-il lui aussi que l’Atlantide décrite par Platon avait réellement existé et compris que celle-ci était vraisemblablement située dans la Mer du Nord ? (lire Le secret de l’Atlantide, de Jürgen Spanuth) En tout cas, l’attrait de l’auteur pour ce récit des origines ne dément pas la passion qu’il avait pour la longue tradition européenne.

Les mythes et légendes de Tolkien face au vandalisme culturel

L’univers décrit dans Le Seigneur des Anneaux trouve lui-même ses racines dans le Silmarillion, œuvre écrite sur plus de 50 années et restée inachevée à la mort de son auteur. C’est d’ailleurs sur les événements racontés dans ce livre que prétend se baser la série d’Amazon. Ce roman relate la mythologie qui sert de toile de fond au Seigneur des Anneaux, tandis que ce dernier est une légende, au sens où le récit prétend rapporter des faits réels, qui aurait été déformés et embellis par l’imagination au fil du temps.

Cette idée que l’univers de Tolkien n’est pas distinct de celui dans lequel nous vivons est renforcée par un autre de ces écrits. Dans le récit non terminé The Lost Road, un père et un fils voyagent dans le temps jusqu’à revenir à l’époque et aux événements relatés dans le Silmarillion. Par ce procédé, l’auteur rattache son mythe à notre monde. Et l’on peut dire que cet écrivain de génie a parfaitement réussi, car c’est bien ainsi que le ressentent des millions de lecteurs à travers le monde.

Tolkien, nourri de ce long héritage kelto-nordique, écrivait un mythe et une légende. Il a toujours fermement défendu le fait que ses récits n’étaient pas une allégorie de l’histoire moderne, et notamment de la Seconde Guerre mondiale. En 1945 dans une lettre à l’un de ses fils il écrivait : « J’ai dans cette guerre une rancune personnelle et cuisante, qui ferait probablement de moi un meilleur soldat à 49 ans que je l’étais à 20, envers ce petit ignorant rougeaud d’Adolf Hitler […]. Ruinant, pervertissant, détournant et rendant à jamais maudit ce noble esprit du Nord… »

Dans une lettre à un éditeur (lettre 181), voici ce qu’il écrivait aussi :

« J’espère que vous avez pris du plaisir à la lecture du Seigneur des Anneaux. Plaisir est le mot clef. Car il a été créé pour amuser (dans son sens le plus élevé) : pour être lisible. Il n’y a pas « d’allégorie », morale, politique ou contemporaine dans l’œuvre du tout.

C’est un conte de fée, mais un écrit pour les adultes – selon la conviction que j’ai un jour exprimée dans un long essai « Du Conte de fée » qu’ils en sont l’audience propre. Parce que je pense que le conte de fée a sa propre manière de refléter la « vérité », différente de l’allégorie, de la satire (soutenue), ou du réalisme, et en certains sens plus puissante. Mais avant tout, il doit avoir du succès seulement en tant que récit, passionner, plaire, et même à l’occasion émouvoir, et au sein de son propre monde imaginé être en accord avec ses croyances (littérairement). Réussir en cela était mon premier objet. »

C’est dit : l’œuvre de Tolkien a été écrite pour « passionner, plaire » et « il n’y a pas « d’allégorie », morale, politique ou contemporaine dans l’œuvre du tout. » Dans une interview donnée pour la promotion de la série d’Amazon Prime, l’un des producteurs exécutifs a déclaré : « Il nous a semblé naturel qu’une adaptation de l’œuvre de Tolkien reflète ce à quoi le monde ressemble réellement. […] Tolkien s’adresse à tout le monde. Ses histoires concernent ses races fictives qui font leur meilleur travail lorsqu’elles quittent l’isolement de leurs propres cultures et se rassemblent. » Il est évident que Tolkien s’adresse à tout le monde – l’histoire et les personnages sont riches et inspirants et n’importe qui peut s’y identifier. Pour autant, cette histoire parle du passé de l’Europe (pas de l’Amérique du XXIème siècle), Tolkien écrivait un folklore concernant un peuple spécifique. Une adaptation de cette œuvre ne devrait donc refléter que la Terre du Milieu telle qu’elle a été écrite, et rien d’autre. Vouloir à tout prix en faire un récit cosmopolite, multiculturel et progressiste est une corruption fondamentale de l’œuvre. C’est méconnaître et profaner complètement le travail de l’auteur. Si l’histoire ne vous plait pas telle qu’elle a été écrite, personne ne vous force à l’aimer – mais cela ne vous autorise pas à la mutiler. Cette hargne à vouloir réécrire jusqu’à effacer l’histoire de l’Europe est un vandalisme culturel dangereux, et qui devrait tous nous inquiéter.

Amazon aura beau traiter les personnes qui s’insurgent de « trolls » ou de « fans toxiques », il n’y a rien d’honteux à défendre la tradition primordiale européenne. Tout comme celles de nombreux peuples à travers le monde, elle a été et est toujours attaquée par des hommes et des groupes à visée impérialiste, qui, en privant les peuples de leurs racines, en font des êtres individualistes et isolés, plus faciles à contrôler. Être fier de sa culture n’implique en aucun cas un dédain des autres cultures, du racisme ou une prétendue supériorité. La disparition de la diversité culturelle à travers le monde est un appauvrissement pour toute l’humanité et devrait être combattue. Amazon cherche à se présenter en héraut de la « diversité », alors que l’entreprise n’œuvre que pour la détruire partout sur cette planète. On vend plus sur un marché uniforme.

Si l’on peut douter que Tolkien aurait aimé les films de Peter Jackson, il n’y a cependant aucun doute sur le fait que l’adaptation libre proposée par Jeff Bezos de ses mythes et légendes profondément enracinées dans l’héritage kelto-nordique lui aurait soulevé le cœur. Les œuvres de Tolkien n’ont pas à être – et ne devrait pas être – « actualisées ». En tant que récits mythologiques et légendaires, ils parlent d’une période révolue, et à aucun moment du monde contemporain. Aucune « correction » à visée idéologique et politique ne devrait être faite de ces récits, et encore moins quand celles-ci vont à l’encontre totale de l’esprit de l’œuvre.

Jeff Bezos, le seigneur du « woke capitalisme »

Ce vendredi 2 septembre, cela fera 49 ans jour pour jour que le professeur J.R.R. Tolkien quittait ce monde. Et c’est cette date qu’Amazon a choisi pour rendre publique son interprétation de la saga tolkienienne. Certains, naïfs, voudraient y voir au pire une coïncidence, au mieux, un hommage. Cela est mal connaître cette multinationale sans scrupules qui n’a qu’un but : la suprématie. Soyons clair : Jeff Bezos est autant un admirateur de Tolkien qu’il est un humaniste ou un écologiste. Pour lui le nom Seigneur des Anneaux signifie juste « machine à cash » et « soft power ». Et en s’appropriant ce titre, Amazon se dote d’une arme de destruction massive contre les derniers particularismes culturels.

C’était d’ailleurs l’objectif qui avait été donné par le multimilliardaire à ses collaborateurs, trouver le nouveau Game of Thrones. Et c’est ce qu’ils ont fait : ils ont pris un nom internationalement aimé et respecté, l’ont vidé de sa substance et l’ont rempli de tout ce qui a fait le succès de cette « dark fantasy » avec sa violence et sa vision pessimiste de l’humanité, bien loin du « Conte de fée » si cher à Tolkien. Il n’y a aucune bonne volonté à l’œuvre dans ce projet, et les lecteurs fidèles aux trésors laissés par Tolkien derrière lui ne sont pas dupes et se sont fait entendre. Fortement, à en voir la quantité massive de dislikes par rapport aux réactions positives que récoltent les vidéos promotionnelles de la série.

Capture d’écran Nerdrotic montrant le ratio like/dislike des vidéos promotionnelles

Face à ceux, consommateurs passifs, qui pensent qu’il ne s’agit que d’une œuvre de fiction, défendre Tolkien c’est comprendre que, au-delà de l’imaginaire, les histoires de la Terre du Milieu sont l’incarnation de notre héritage d’européens, forgés par des mythes et des légendes ancestraux. Un héritage combattu et corrompu depuis des siècles et aujourd’hui grandement en danger.

Défendre Tolkien contre Amazon, c’est se dresser face à ce rouleau-compresseur mondialiste qui déracine les Hommes comme les arbres. C’est, comme lui, préférer s’en référer à la nature et combattre « l’esprit de métal et de rouage » à l’origine de l’industrialisation des paysages et des mœurs. C’est refuser ce matérialisme dopé à la croissance aveugle et à une modernisation sauvage afin de conserver une écologie populaire, ancrée dans la diversité des territoires et des peuples.

Défendre Tolkien, c’est comprendre que le « progrès » promu par une vision linéaire de l’Histoire est une farce (écrite par les vainqueurs, les Géants), et que la pseudo « culture » de masse et de consommation créée et vendue par des multinationales est une illusion faite pour coloniser les esprits et les imaginaires d’individus en mal de repères.

Préférer Tolkien à Amazon, c’est se libérer du consumérisme, se reconnecter à l’authenticité et choisir de ré-enchanter le monde plutôt que le laisser s’affadir – et dépérir.

« Un Anneau pour les dominer tous, un Anneau pour les trouver, un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier au pays de Mordor où s’étendent les ombres. » C’est par ces mots que débute le Seigneur des Anneaux, et c’est aussi ce que cherche à faire Jeff Bezos avec sa série à plusieurs centaines de millions de dollars : une série pour dominer tous les esprits, et dans son empire les plonger afin de mieux les contrôler. Tolkien est mort, mais pas son œuvre, et ne reste que les amoureux de celle-ci pour la défendre.

Les récits de la Terre du Milieu nous donnent à voir de nombreux exemples de loyauté et de courage et nous enseignent que « même la plus petite personne peut changer le cours de l’avenir. » Rappelons-nous ces mots de Gandalf : « tout ce que nous avons à décider, c’est quoi faire du temps qui nous est imparti. ». Alors, par amour pour le professeur dont nous commémorerons la mort en ce 2 septembre, choisissez sagement que faire en cette journée : ouvrez le Silmarillon et mettez le géant Amazon à genoux en ne lui donnant pas un centime ni une minute de votre attention.

– Morrígan

La source de Tolkien, l’Edda, est disponible sur ce site, il s’agit des quatre livres blancs : https://esprit-viking.com/categorie-produit/livre/

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